Voyage autour
de ma Bibliothèque

Tome 2 : Notes 8: Naissance du roman policier

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(Poe, Messac, Gaboriau, Doyle)

1) n° 0795 Edgar Allan Poe: Tales, Poems, Essays, édit. Collins, Londres et Glasgow, 1952.
2) n° 0797 - 0800 The Works of Edgar Allan Poe, in four volumes, édit. W. J. Widdleton, successor to J. S. Redfield, New-York, 1861.
3) n° 0796 Edgar Allan Poe, sa Vie, ses Oeuvres, traduites par Charles Baudelaire, édit. Gibert Jeune, Paris.
4) n° 0801 Poe’s Tales of Mystery and Imagination, illustrated by Arthur Rackham, Weathervane Books, USA, 1935.
5) n° 0802 Georges Walter: Enquête sur Edgar Allan Poe, poète américain, édit. Flammarion, Paris, 1991.
6) n° 3228-29 Marie Bonaparte: Edgar Poe, Etude Psychanalytique, édit. Denoël et Steele, Paris, 1933.

Edgar Allan Poe

Pour ceux que l’histoire du roman policier intéresse je rappelle qu’Edgar Allan Poe a publié trois nouvelles mettant en scène le fameux Chevalier Dupin (entre 1841 et 43): La Lettre volée, Double Assassinat dans la Rue Morgue et Le Mystère de Marie Roget (les titres français, différents des titres anglais, sont de Baudelaire qui les a traduits avec un enthousiasme délirant). Tout le monde se souvient des deux premières, moi en particulier car j’ai toujours eu du mal à digérer la réflexion du Sieur Dupin sur la supériorité du Jeu de Dames sur les Echecs pour démontrer l’intelligence de quelqu’un, le premier jeu n’étant pas encombré par des règles compliquées et des pions aux caractéristiques toutes différentes, ce qui accapare trop l’attention. Alors qu’au jeu de dames, plus simple, c’est le joueur qui fait preuve de plus de perspicacité qui gagne. Or je suis encore plus mauvais joueur de dames que d’échecs! On connaît probablement moins la troisième histoire. Or elle est tout à fait curieuse. D’après Poe - et les commentateurs semblent le confirmer - il s’agit de la transposition exacte, à Paris, d’un crime commis à New-York sur une certaine Mary Cecilia Rogers et jamais élucidé. Tout le long de la nouvelle on reprend très exactement les faits connus et tous les articles de journaux parus à l’époque en changeant les noms de rues, de quartiers, de personnages et de journaux en noms parisiens. Toute la nouvelle, moins passionnante à lire que les deux autres, n’est qu’un long raisonnement fait d’analyses des faits et des articles, d’observations scientifiques (sur la conservation d’un noyé dans l’eau p. ex.) et de déductions pour arriver finalement à la conclusion, c. à d. à la désignation d’un coupable. Si l’histoire du crime new-yorkais est avéré, ainsi que les nombreux articles de journaux cités dans le texte, - mais avec Poe on n’est jamais sûr de rien, il était capable de sacrées mystifications - il s’agit donc là d’une véritable enquête policière et non plus d’une oeuvre de fiction. Reste que cette histoire-là contient au moins un authentique crime ce qui n’est pas le cas des deux autres: le détournement de la lettre n’est qu’une histoire de chantage et le meurtre de la rue Morgue n’en est pas un, ce n’est qu’un accident causé par une bête rendue furieuse. Mais d’après la très curieuse et volumineuse étude d’un certain Régis Messac, dont je parlerai encore, le crime n’est pas une condition nécessaire pour une «detective novel». Ce qui compte c’est l’action de détection (Messac avait écrit sa thèse au Canada) basée sur un raisonnement logique et mise en scène d’une manière progressive pour faire monter la tension et la curiosité du lecteur, pour arriver in fine à la solution d’un mystère, solution que le lecteur aurait pu trouver lui-même car l’auteur ne lui avait rien caché des prémisses sur lesquelles elle est bâtie. Edgar Poe aurait appelé quelque part ces nouvelles des nouvelles «ratiocinantes». On pourrait alors y ajouter l’admirable Scarabée d’Or, cette fascinante histoire de trésor de pirates, entièrement basée sur des raisonnements et un jeu de pistes, et pourtant aussi passionnant à lire que l’Ile au Trésor de Stevenson.
Ceci étant, Poe est quasi unanimement considéré comme le créateur du roman policier. Je n’en veux pour preuve que la dernière édition de ses oeuvres chez Collins après la guerre. Celui qui introduit le livre, un certain Laurence Meynell, déclare: «il est dans la nature des choses que seul un petit nombre d’hommes peuvent devenir les inventeurs d’un nouveau genre littéraire. Or il est juste de dire qu’en ce qui concerne la littérature anglaise au moins, Poe a inventé le roman policier». Et Régis Messac est encore plus catégorique: «Jusqu’à La Lettre Volée et Double assassinat dans la rue Morgue, le detective-novel était en formation. Après ces deux nouvelles il est créé. Le meilleur et le plus célèbre des disciples de Dupin, Holmes, ne fera que l’imiter avec une docilité qui va parfois jusqu’à la servilité. Il ne différera de lui que par le nombre de ses aventures et le pittoresque de certains accessoires. En fait, après Poe, restait-il autre chose à trouver que des accessoires?»
Et pourtant à son époque on ne s’était rendu compte de rien. Une des premières éditions que je possède - elle date de 1861, mais n’est qu’une réédition de celle de 1856 qui reprenait les textes des deux premières éditions de 1850 et 1853 en y ajoutant celui de Gordon Pym, - parle surtout de sa vie, de sa mort (il est décédé en 1849 à l’hôpital de Baltimore quelques jours après avoir été trouvé dans la rue, ivre-mort, semble-t-il) et de son oeuvre bien sûr, mais ne semble pas donner une grande importance aux nouvelles «ratiocinantes». Ces premières éditions sont d’ailleurs assez scandaleuses. D’un côté elles ont été publiées au bénéfice de sa grande amie, la mère de sa femme défunte, Maria Clemm, il y a bien une notice biographique très gentille d’un certain James Russell Lowell qui va jusqu’à écrire: «Mr. Poe had that indescribable something which men have agreed to call genius», mais dont tout l’effet est annulé par un renvoi en bas de page qui dit que la notice a été écrite cinq ans plus tôt à la requête de Poe lui-même, et d’un autre côté il y a le texte d’un soi-disant ami, Willis, qui reprend in extenso les écrits du venimeux Révérend Dr. Rufus Griswold que Poe, dans sa naïveté avait, paraît-il, nommé son exécuteur littéraire. Quelques perles Griswold: «E. A. Poe est mort... Il avait peu ou pas d’amis... On le regrettera surtout parce qu’il était une étoile littéraire brillante, mais erratique... Il marchait dans la rue, en bougeant les lèvres, les yeux tournés vers le ciel comme en une prière passionnée (mais pas pour lui-même car il se sentait déjà damné)... Irascible, envieux... pas de susceptibilité morale... Il avait, avec un excès morbide, ce désir de monter que l’on appelle vulgairement ambition...» Toutes ces amabilités, jointes au fait qu’on le prenait pour un alcoolique invétéré et sa mort infamante quasiment dans la rue ont fait de Poe un pestiféré pour les bonnes âmes américaines. Une descendante de Napoléon, élève soi-disant de Freud, dissèque Poe névropathe et démolit toute son oeuvre en n’y voyant que la confirmation de ses théories. Un admirateur de Poe - il y en avait quand même - dit: «N’y a-t-il pas une loi en Amérique qui interdise l’entrée des cimetières aux chiens?» (c’est Walter qui le rapporte). Poe était certainement un vrai génie (pas à cause du seul «roman policier», bien sûr, mais à cause de ses merveilleuses nouvelles dramatiques, folles et horribles) mais l’Amérique n’a pas reconnu ce génie quand elle aurait dû le faire. Il est vrai que l’auteur de Moby Dick n’a pas eu plus de chance.
Baudelaire était surtout fasciné par le caractère saturnien de l’homme et de l’oeuvre qui va d’ailleurs influencer grandement nos poètes du mouvement symboliste. Il écrit trois textes sur Poe et son oeuvre entre 1852 et 1857. Et passe 17 ans de sa vie à traduire son oeuvre. Et pourtant lui non plus n’a pas vu la nouveauté des contes policiers.
Alors qu’y avait-il de si nouveau dans ces histoires Dupin? D’abord quel est cet esprit de logique dont on parle? Messac nous l’explique (mais on aurait pu se contenter des explications de Poe lui-même car il est prolixe sur le sujet): l’analyste de Poe commence par faire des observations et des interférences. C’est la démarche classique par induction. Bien que Poe utilise occasionnellement et Holmes tout le temps, le mot déduction. Ce qui crée confusion. Pour augmenter encore la confusion, la sémiotique moderne (Charles Sanders Pierce et Umberto Eco) a encore inventé un nouveau terme, l’abduction. C’est la méthode utilisée, paraît-il, par le commissaire Maigret (voir n° 3240 Els Wouters: Maigret: «je ne déduis jamais», Edit. du Céfal, Liège, 1998). En fait il ne s’agit, si j’ai bien compris, que de pratiquer par des interférences un peu particulières. Maigret essaye de reconstituer l’histoire du crime sur la base d’indices bien sûr, mais aussi en se laissant imprégner par l’atmosphère et en cherchant à se mettre à la place des personnages dont il sonde la vie et la personnalité. Ainsi quand vous voyez Maigret absent, opaque, de mauvais poil, somnolent ou rêveur, ne vous étonnez pas: il travaille!
Pour Georges Walter, fervent admirateur de Poe, et qui rétablit d’ailleurs son image salie par Griswold, c’est l’imagination qui, aux yeux de Poe, est la faculté maîtresse de Dupin. L’imagination qui permet l’intuition. L’imagination qui selon Poe est la caractéristique du poète et qui est supérieure à la science. L’adversaire de la Lettre Volée, le Ministre D., est à la fois poète et mathématicien. «Donc il raisonne juste», dit Dupin. Moi j’aime beaucoup cette idée. Déjà comme adolescent je trouvais qu’une version latine ou grecque et la solution d’un problème mathématique demandaient les mêmes capacités intellectuelles. D’abord analyse, des données et de leurs relations dans le cas du problème, du vocabulaire et des relations grammaticales entre les mots des phrases dans le cas de la version, puis synthèse de tout cela pour arriver à la démonstration dans un cas, à une phrase qui a du sens dans l’autre. Et dans les deux cas l’intuition est importante, soit pour accélérer le processus, soit tout simplement pour trouver la solution. Il faut avoir été bloqué devant un exercice de rien du tout au petit oral de l’X pour savoir comme on peut être bêtement éteint quand l’étincelle ne vient pas.
J’ai déjà parlé de ces écrivains qui avaient une formation scientifique et de ce que cela leur apportait sur le plan de la littérature (Stendhal p. ex.) et j’en parlerai encore à propos de Musil. Je suis d’autant plus ouvert à l’idée que la poésie, c. à d. l’imagination est un atout extraordinaire dans l’exercice des métiers de la logique. C’est très simple. J’ai toujours pensé que l’imagination était le sommet de l’intelligence. J’ai trouvé dans certains essais de Poe, les Marginalia, des réflexions sur l’imagination dans l’art (mais cela pourrait probablement s’appliquer à la science) qui me paraissent lumineuses: «L’imagination choisit des éléments combinables qui n’ont pas encore été combinés. Le composé participe en général aux caractéristiques des éléments combinés. Mais souvent, comme en chimie, le produit n’a plus rien à voir avec les éléments originaux qui étaient d’ailleurs eux-mêmes des éléments composés. Le monde de l’imagination n’a pas de limites. Ses matériaux s’étendent à travers l’univers. L’imagination crée la beauté à partir d’éléments informes. Seuls comptent la force et la richesse des éléments combinés, la facilité de découvrir des nouveautés combinables et puis la chimie de la masse combinée...» Quand je pense que les Surréalistes sont allés encore plus loin, en combinant des éléments non-combinables...

7) n° 2929 Régis Messac: Le «Detective Novel» et l’influence de la pensée scientifique, édit. Librairie Ancienne Honoré Champion, Paris, 1929.

L’étude volumineuse de Régis Messac commence par une recherche dans la littérature de l’évolution des raisonnements logiques sous l’influence de la pensée scientifique. Cela va loin. Si je vous entraînais à la suite de Messac il faudrait qu’on revienne à Zadig (vous souvenez-vous de Zadig?) qui est mis en prison parce qu’il a su décrire le cheval du Roi et la chienne de la Princesse sans les avoir jamais vus mais pour en avoir suivi les traces. Et de là il faudrait retrouver les trois Princes de Sarendip du Chevalier de Mailly qui jurent qu’un chameau qu’ils n’ont jamais vu est borgne (il ne mange l’herbe que d’un côté de la route), qu’il n’a pas de queue (ses crottes étaient tombées tout droit alors que le mouvement de la queue les aurait dispersées), qu’il portait du beurre d’un côté (des fourmis sur un côté de la route) et du miel de l’autre (mouches de l’autre côté) et qu’il était monté par une femme, de surcroît enceinte (je préfère ne pas vous donner les raisons). Evidemment eux aussi sont emprisonnés, car les rois n’aiment pas qu’il y ait des gens plus intelligents qu’eux. Alors il faudrait suivre cette histoire encore plus loin, par l’Italie, vers la Perse, l’Inde peut-être... Mais je crois vous avoir déjà assez baladé du côté de l’Orient. On va en rester là.
Je vous ferai grâce aussi des Mohicans de Paris d’Alexandre Dumas. Même si on y trouve un policier nommé Jackal qui commence à travailler en détective. Mais c’est surtout un vrai roman-feuilleton. Dans la collection de poche Marabout il représente quatre gros volumes. Et il a une suite: Salvador, qui représente encore quatre gros volumes...


8) n° 3189 Emile Gaboriau: L’Affaire Lerouge, édit. Editions de l’Instant, Paris, 1986.
9) n° 3190 Emile Gaboriau: Le Dossier N° 113, édit. Nouvelle Société des Editions Encre, Paris, 1985.
10) n° 3191 Emile Gaboriau: Monsieur Lecoq - L’Enquête, édit. Garnier, Paris, 1978.
11) n° 3192 Emile Gaboriau: Monsieur Lecoq - L’Honneur du Nom, édit. Garnier, Paris, 1978.

Reste Gaboriau et ses oeuvres policières toutes publiées entre 1866 et 1869. L’Affaire Lerouge est le premier de ces romans policiers. Son détective est le Père Tabaret. Et c’est dans le Dossier n° 113 qu’apparaît pour la première fois l’inspecteur Lecoq. Il est d’une bonne famille normande, jeune, bachelier, a fait son droit, s’est mis dans la police par goût et pour faire jouer son intelligence.
L’un des biographes de Gaboriau note que c’est piqué par les traductions de Poe par Baudelaire, qui commencent à paraître dans le journal Le Pays, où Gaboriau entre comme rédacteur, qu’il crée le premier roman policier français en se servant d’un fait divers réel, l’assassinat de la veuve Célestine Lerouge, près de la Porte d’Italie. Conan Doyle est donc battu à plate couture. La première apparition de Sherlock Holmes ne date que de 1888 dans a Study in Scarlet (voir n° 3631: A Study in Scarlet, a Detective Story, by A. Conan Doyle, a new edition by Ward, Lock, Bowden and Co, Londres, 1892). Et d'ailleurs, Conan Doyle qui semble être un Anglais honnête (cela existe), raconte dans ses mémoires qu’il s’est inspiré à la fois de Poe et de Gaboriau: «Gaboriau m’avait séduit par l’élégante façon dont il agençait les pièces de ses intrigues, et le magistral détective de Poe, M. Dupin, avait été depuis mon enfance un de mes héros favoris». Il est vrai que son héros copie plus Dupin que Lecoq. Rien que par le fait d’avoir associé à Sherlock un narrateur comme celui de Dupin. Ce qui permet de fournir au détective génial un factotum et un faire-valoir. Encore que le Docteur Watson semble particulièrement stupide. Mais comme c’est un Anglais bien élevé cela ne se voit pas trop...

Monsieur Lecoq - L'enquête

Emile Gaboriau


(2002)

PS: Grâce aux Mémoires de Francis Lacassin (voir n°3665 Francis Lacassin: Mémoires - Sur les chemins qui marchent, édit. Editions du Rocher, Monaco, 2006) j'apprends que Régis Messac s'était également intéressé à la science-fiction en concevant une Esquisse d'une chrono-bibliographie des utopies (Lacassin ne dit pas si cet ouvrage a été publié) et qu'il a disparu dans les camps de la mort en 1943. Lacassin a connu son fils, le journaliste Ralph Messac, qui a été un des premiers grands experts en études simenoniennes, entreprenant un véritable travail encyclopédique, rédigeant une fiche analytique de chaque volume paru et recensant tous les ouvrages publiés par Simenon sous d'autres noms (tels que Sim ou Brulls: j'en ai quelques uns parus chez un éditeur sous le nom de "Introuvables").
Je me rends d'ailleurs compte que je suis passé un peu vite sur la monumentale étude (près de 700 pages) de Régis Messac. Car en réalité Messac ne se contente pas, malgré le sous-titre de sa thèse: L'Influence de la pensée scientifique, de suivre l'évolution depuis l'Antiquité de cette mécanique de "détection" qui aboutira avec Poe, Gaboriau et Holmes à la véritable detective novel. Il étudie également l'influence qu'ont pu avoir sur le genre roman policier tous les genres qui l'ont précédé. Car, enfin, si le roman policier a eu un tel succès dans le monde occidental à la fin du 19ème siècle et au 20ème, ce n'est pas simplement pour le plaisir que le public eût pu prendre à suivre un raisonnement logique. Deux autres éléments ont joué un rôle primordial: l'attrait du mystère et du suspense, d'une part, la fascination exercée par le crime, le sang, la peur, d'autre part. 
Il est donc tout à fait naturel que Messac étudie également les ancêtres lointains du roman policier qui sont le roman picaresque et les récits de la vie des grands criminels que l'on trouvait dans les almanachs ou toute cette littérature de colportage étudiée par Charles Nisard qui avait été chargé de les rassembler lors de l'établissement d'une commission d'examen de ces livres en 1852 (voir n° 1864-65 Charles Nisard: Histoire des Livres Populaires ou de la Littérature de Colportage, 2ème édition, édit. E. Dentu, Paris, 1864. La 1ère édition est de 1854, avait été publiée par le Libraire Amyot et est introuvable aujourd'hui.) Messac nous apprend que l'équivalent de ces récits de criminels existait en Angleterre où on les regroupait sous la dénomination de Newgate Calendar, Newgate étant le nom d'une sinistre prison construite par un maire de Londres en 1422 sur l'emplacement d'une porte des anciennes fortifications de la ville).
Messac étudie également le fameux roman Caleb Williams de Godwin qui date de 1794 et qui est un roman à dominante picaresque mais qui débute avec un assassinat mystérieux (suite à une bagarre entre deux hobereaux, ces hobereaux que l'on va retrouver dans toute la littérature anglaise du 19ème siècle) et dont le héros de l'histoire a deviné l'auteur. Messac passe encore en revue les romans noirs anglais (genre Château d'Otrante), les Mémoires de Vidocq et son influence sur les romanciers français, Balzac (Vautrin), Alexandre Dumas, Eugène Sue, Victor Hugo, Ponson du Terrail, Paul Féval, etc. Il étudie également leurs équivalents anglais, montre l'influence qu'a eue sur la structure du récit (coups de théâtre, suspense) la fréquence de publication sérielle (feuilleton à publication quotidienne en France, publication beaucoup plus espacée en magazines en Angleterre). Et puis il consacre un long chapitre à ce que l'on a appelé les "sensation novels" ou "Newgate novels" (comme suite au Newgate Calendar). Et aux principaux écrivains qui ont illustré ce genre qui sont Wilkie Collins, Charles Reade et... Charles Dickens!
Pour moi ce fut une découverte. J'avais déjà entendu parler de Collins dans une étude du roman d'aventures de Tadié (voir n° 2004 Jean-Yves Tadié: Le Roman d'Aventures, édit. Presses Universitaires de France, Paris, 1982). Dans son introduction Tadié écrit: "A la publication de la Dame en blanc de Wilkie Collins, Gladstone, premier ministre, décommande une soirée au théâtre et Thackeray reste éveillé jusqu'à l'aube pour en continuer la lecture". Encore des victimes de l'Empire Caché, me suis-je dit. Et puis j'ai cherché à en savoir plus sur ce fameux Collins. J'ai d'abord trouvé deux de ses romans dans la bibliothèque de ma fille, publiés en poche dans la collection Marabout de l'éditeur belge Gérard: La Pierre de Lune, édit. Gérard et Cie, Verviers, Belgique, 1958 et La Dame en blanc, édit. Gérard et Cie, Verviers, Belgique, 1959). Et finalement j'ai encore déniché une édition plus ancienne de la Pierre de Lune chez la spécialiste du fantastique et de la science-fiction de la rue Gay-Lussac, Mme Florence de Chastenay (qui connaît d'ailleurs très bien Francis Lacassin). Voir n° 3677-78 Wilkie Collins: La Pierre de Lune, roman anglais traduit avec l'autorisation de l'auteur par Mme la Comtesse Gédéon de Clermont-Tonnerre, édit. Hachette, Paris, 1878. J'ai bien sûr dévoré à mon tour les deux romans d'une seule traite et découvert que l'édition Marabout prétend que le grand poète T.S. Eliot aurait décrit la Pierre de Lune comme "le premier et le meilleur roman policier anglais qui ait jamais été écrit". Mais Messac est formel. Les sensation novels ne sont pas des detective novels, encore que, dit-il "Collins eût été le mieux doué pour reprendre et continuer l'oeuvre de Poe" (mais Poe était bien plus connu et admiré en France qu'en Angleterre). Il reconnaît néanmoins que la Dame en blanc (The Woman in white) est assez proche de ce que l'on pourrait appeler une mystery novel et que la Pierre de Lune (The Moonstone) où Collins fait plus qu'ailleurs appel à l'intelligence et aux raisonnements se rapproche un peu plus de la detective story. La Dame en blanc date de 1860 et la Pierre de Lune de 1868. Entre-temps Emile Gaboriau avait publié la première detective novel européenne (selon la définition Messac) l'Affaire Lerouge, en 1866, et puis le Dossier n° 113 et le Crime d'Orcival en 1867.

(2007)